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    Jean Bertrand Pontalis

     

    Extraits d'une interview, parue dans Télérama

    du 26 Aout 2009

     

    Il fût l’élève de Jean-Paul Sartre et collabora à la revue « Les Temps modernes, écrivain (une quinzaine de livres depuis1980 parus chez Gallimard), éditeur (il dirige la collection, « L’un et l’autre », chez Gallimard également),

    Cet homme mosaïque de 85 ans est amateur de flou, de brume, de terrain meuble, bref, de toute matière prête à se désagréger. Fragmentaire, pudique, simple, limpide - comme en témoigne son dernier livre, sur l'amitié : Le Songe de Monomotapa -, l'oeuvre littéraire de J.-B. Pontalis est essentiellement composée de notes et de pauses, qui dessinent en sourdine la partition de pensées réconfortantes comme : « Chercher à avoir raison, c'est vouloir avoir raison de l'autre, c'est l'arraisonner. Je ne récuse pas les théories. Je préfère naviguer dans leurs marges » (En marge des jours), ou encore : « Je tiens pour suspecte une pensée qui, tout en s'en défendant, a réponse à tout et tient à l'écart sa propre incertitude » (L’Amour des commencements).

     

    Vos livres chuchotent, ils avancent sur la pointe des pieds, distillant des pensées profondes, en toute discrétion. Pourriez-vous parler de ce silence qui les caractérise ?

     

    Parler sur le silence, ce serait inévitablement le trahir. Tout au plus peut-on parler à partir de lui, de ce qu'il recèle du plus enfoui en nous. Donc, je vais rester silencieux. C'est peut-être la meilleure façon de montrer ce qu'est le silence.

     

    Pour vous, la parole ne peut pas expliquer le silence...

     

    Elle peut surgir du silence. Je l'ai observé comme psychanalyste, le silence est la condition de la parole en analyse. Il constitue l'arrière-fond indispensable pour que le patient laisse surgir l'imprévu, ce qu'on appelle l'idée incidente. C'est la pensée qui vous tombe littéralement dessus, qui échappe au discours organisé des conversations ordinaires. Moi, j'appelle cela l'infans : ce qui se situe avant le langage et qui échappe à tous les codes, à tous les discours. On dit habituellement que l'infans, c'est celui qui est privé de parole. L'infans est celui qui n'est pas encore tyrannisé par le langage.

     

    Etes-vous d'accord avec le poète Georges Perros qui a dit : « On n'écrit que lorsqu'on est au bord de se taire... »? 

     

    Je le dirais un peu dans l'autre sens : on écrit pour laisser la parole à ce qui ne s'est jamais dit, à ce qu'on n'était pas à même de dire. On s'avance sur un territoire inconnu, non quadrillé, non répertorié dans notre cartographie intime. Ecrire, pour moi, c'est une traversée sans boussole, sans orientation précise. Quand je commence un livre, je ne fais jamais de plan. Et puis viendra, ou ne viendra pas, quelque chose d'inconnu... Donner la parole à celui qui ne parle pas : c'est peut-être ça que je retrouve dans l'analyse et dont j'essaie de rendre compte dans mes livres.

     

    Que deviennent les livres que vous avez écrits ? Est-

     

    ce qu'ils vivent encore en vous ?

     

    Il m'arrive, lorsque mes livres sont édités en poche, de les relire. Alors là, j'ai l'impression bizarre d’avoir toujours écrit le même livre. Mais je me rassure : si je dis toujours la même chose, c’est que cette chose me tient à cœur. Ce n'est pas de la répétition, du ressassement, mais quelque chose sur quoi je dois revenir. Il y a un livre de Kierkegaard dont le titre a été traduit par La Répétition. Mais en fait, le terme exact, c'est « la reprise », ce qui n'est pas pareil. Il y a la reprise de la couturière, dans le sens de « raccommodage ». Et puis, la reprise dans le sens de « recommencement », de « répétition », comme au théâtre. On répète, mais à chaque fois, on modifie pour être plus près de la vérité. Donc je me dis que je pratique la reprise. Chaque livre est la reprise du précédent.

    Il y a beaucoup de rencontres marquantes dans une vie, à partir desquelles on se définit. Nous avons tous une identité multiple. Personne n'a envie d'être réduit à soi. Personne n'a envie de se dire « je ne suis que ça ».

     

    Qu'est-ce qui vous fait rire aujourd'hui ?

     

    Je n'aime pas beaucoup la dérision ambiante, l'esprit négatif qui s'en donne à coeur joie sans risque. C'est un refus de reconnaître ce qu'on doit aux autres. J'aime bien l'humour, parce qu'il y a de la sympathie pour l'autre dans l'humour. Alors que l'ironie peut faire très mal, c'est une forme de condescendance, de supériorité, qui ne m'est pas sympathique.

     

    PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE LANDROT

     

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